Nous publions un extrait d’un article du journal « L’envolée« qui parle du mouvement des Gilets Jaunes et de sa répression. L’article entier est visible ici. Le même numéro contient un courrier d’un gilet jaune enfermé pour plusieurs mois (article « Je fais partie de ces nombreux gilets jaunes qui dorment en ce moment en prison », p. 34 à 37 du numéro 50) qui est particulièrement intéressant. N’hésitez pas à contacter le journal si vous voulez vous le procurer.
« En blesser un pour en terroriser mille »
D’ordinaire, quand il s’agit d’étouffer un mouvement social qui menace de prendre trop d’ampleur, l’État tâche de diviser ceux et celles qui le défient en recourant à des catégories ; bonne manière en prime de justifier la répression qui ne manque jamais de s’abattre, de la violence de sa police à la brutalité de ses tribunaux. Pour le mouvement des Gilets jaunes qui a explosé au mois de novembre dernier, il est tombé sur un os : il avait affaire à une foule considérable, aux mille visages tous différents. Les Gilets jaunes, c’est un peu tout le monde. Une multitude de vies, de réalités sociales, d’opinions qui se sont rencontrées, confrontées, formées mutuellement, et ont fait mouvement, donnant naissance au vocable « Gilets jaunes ». Mais ce n’est pas l’État qui l’a forgé, et cette catégorie volontairement floue ne permet pas de séparer ceux et celles qui se l’approprient du reste de la population. Alors il a tenté, comme souvent, d’en faire émerger des figures, des représentants ; il a exhorté le peuple des ronds-points à la responsabilité, c’est à dire à lui présenter des revendications claires tout en se débarrassant de ses éléments les plus bruyants.
Échec, là encore : les Gilets jaunes ne se sont pas laissés trier entre bons et mauvais, refusant la plupart du temps de se désolidariser des plus virulents. Sur les ronds-points, le mouvement a continué ; les défilés du samedi dans les beaux quartiers s’enchaînaient semaine après semaine, et les manifestants se sont montrés toujours plus déterminés. D’autant que beaucoup ont dû pour la première fois faire face à une violence d’État dont ils ne pouvaient même pas supposer l’existence, ou qu’ils croyaient réservée à d’autres catégories de la population, quartiers populaires et migrants en tête. C’est grâce à ses armes dites « non létales » – grenades, gaz, LBD, matraques… –, ses interdictions de manifester, ses gardes à vue, ses comparutions immédiates… que l’État et sa bande d’hommes en arme a fini, semaine après semaine, par construire la catégorie qui lui manquait. Le sinistre conseiller du prince Alain Bauer, toujours là quand on a besoin d’un concept fumeux pour enfermer en masse, s’est chargé de lui trouver un nom qui claque et fait frémir : « l’ultra-jaune ». En vrai, l’ultra-jaune, c’est celui ou celle que des mois de mouvement ont transformé ; c’est précisément celui ou celle que la violence d’une police toujours plus militarisée et encouragée à faire mal n’est pas parvenue à terroriser suffisamment pour rester sagement à la maison ; c’est celui ou celle que les blessures de ses complices de lutte a rendu intolérant aux appels au calme, d’où qu’ils viennent.